Qu’est-ce qui peut inciter aujourd’hui un jeune homme de vingt-six ans à traverser une partie de la France en solitaire et à pied, à l’heure du toujours plus vite ? Quelles motivations peuvent le pousser à partir avec sa tente, son sac sur le dos et à effectuer un voyage de 36 jours, sur plus de 750 kilomètres ?
Quête initiatique, désir d’aventure, de rencontres, de grands espaces. Besoin vital de trouver à la vie un nouveau sens ?
Nécessité de se délester d’un poids terrible du passé ?
D’accepter le diagnostic récent d’une maladie chronique. Il y a un peu de tout ça dans ce récit, et plus encore !
Loin de n’écrire qu’une simple carte postale invitant au voyage, l’auteur nous livre, tantôt avec humour, tantôt avec émotions et subtilités, ses réflexions, ses doutes et ses découvertes de marcheur.
Il se met à nu, nous interroge, nous déconcerte parfois, nous chavire souvent et finit toujours par piquer au vif notre propre humanité.
L’aventure a ceci de passionnant qu’elle est à la portée de tous et qu’elle peut commencer au bout de sa propre rue ! Ce jeune homme nous en apporte une preuve rafraîchissante et humaine.
Pour le blog des amis, Yann Durand a accepté - à notre demande - de publier ici le Prologue de son livre. Beaucoup se reconnaîtront dans ces mots justes et magnifiques. Un livre de voyage « sans complaisance de soi » pour vivre aussi notre rêve à travers celui de Yann. AAM
Extrait du livre : « La tête en marche »
Prologue
Je suis épuisé. Me voilà pour la troisième semaine consécutive enfermé dans cette même pièce. Elle doit mesurer à peine un mètre carré. Au sol et au mur, un carrelage blanc comme unique décoration. Après de trop longues observations, j’ai cette faïence froide et impersonnelle en horreur. Face à moi une fenêtre à la vitre opaque derrière laquelle se dessinent des barreaux. Comme si sauter par la fenêtre pouvait être une échappatoire, allait pouvoir mettre un terme à mes souffrances.
Je suis au premier étage d’un petit immeuble tranquille. Il est vingt-deux heures, et ça fait plus d’une heure et demie que je suis coincé ici. Que je déguste sévère. Je ne compte plus le nombre d’allers-retours forcés que j’ai dû faire pour me retrouver enfermé ici. Je n’en peux plus. Que m’arrive-t-il et quand tout cela s’arrêtera-t-il ?
Le pire, c’est que le verrou est de mon côté ! Je peux.
Pardon, je pourrais sortir à tout moment mais je me retrouve dans l’incapacité de le faire. Je suis mon propre preneur d’otage ou plus exactement et sans que je comprenne pourquoi mon corps a pris le contrôle des opérations.
Il me torture de l’intérieur et m’oblige à rester assis, le pantalon sur les chevilles à me tordre de douleur. Sous les nombreux spasmes de mes intestins, j’ai l’impression d’être la montagne qui accouche d’une souris. Sensation étrange pour l’homme que je suis, je me sens comme une femme en plein travail. À ceci près que je suis loin, moi, de donner la vie. Sous les contractions de mes boyaux, je suis contraint de pousser.
Astreint à me vider. Refrénant même des envies de crier. C’est plus fort que moi. Pourtant, ça fait un moment que je n’expulse plus rien de solide. Prisonnier de mes toilettes, j’attends désespérément que la séance de torture se termine.
Il y a une semaine de cela, mon médecin m’a arrêté pour une banale gastro-entérite qui m’étreint déjà depuis trop longtemps, et m’a prescrit les médicaments d’usage.
Malheureusement, ils n’ont eu aucun effet. Je retournerai le voir plusieurs fois et mon état ne s’améliorant toujours pas, il m’orientera vers un de ses confrères. Un spécialiste de la tuyauterie humaine.
Après un tas de prises de sang, d’examens divers et de nombreuses séances d’enfermement subis dans la pièce au carrelage blanc, c’est une coloscopie qui signera un diagnostic péremptoire.
Trois mois après mes premiers symptômes et inquiétudes, le verdict finira par tomber :
– Monsieur Durand, vous êtes atteint de la maladie de Crohn.
Voilà comment, à vingt-quatre ans, une simple phrase va bouleverser les deux années suivantes de ma vie et probablement tout le restant aussi.
Les mots tels que rare, chronique, incurable et origine inconnue me seront jetés brutalement au visage sans réel ménagement. On m’expliquera de manière placide que je suis atteint d’une maladie inflammatoire chronique des intestins, une mici, et que cette maladie évoluera par poussées. Qu’elle se caractérise essentiellement par des douleurs abdominales et des diarrhées qui peuvent être plus ou moins longues et douloureuses. Qu’une fatigue générale et intense, une perte de poids conséquente et des problèmes articulaires, voire visuels pourront survenir. Que l’hospitalisation et la chirurgie peuvent parfois être nécessaires lors de crises virulentes et que l’apparition de sténoses (rétrécissement d’un segment intestinal), d’abcès ou de fistules (trajet inhabituel de l’intestin malade vers un autre organe ou la peau) est possible.
De la longue liste des choses à mettre en place pour aller mieux, je retiendrai un changement d’habitude alimentaire drastique et un traitement médical quasi à vie. Le traitement, s’il ne guérit pas m’expliquera-t-on, soulagera mes douleurs et renforcera mon système immunitaire devenu fragile. Je comprends donc très vite qu’avec cette maladie « je n’ai pas fini d’en chier. »
Parmi ce flot de mauvaises nouvelles, je me raccrocherai toutefois à une chose entendue. Il y a dans la maladie des périodes dites de « rémission » pendant lesquelles les symptômes peuvent me laisser tranquille pendant un jour, un mois ou même des années. L’avenir restera quand même voilé d’incertitudes.
Dans mon cas, des ulcérations ont gagné mon colon et mon gros intestin. Ce sont donc ces maudites inflammations qui rongent mon corps de l’intérieur.
J’ai pris ce diagnostic comme un coup de massue. Moi qui jusqu’à maintenant m’enorgueillissais de ne jamais ou si rarement tomber malade. Moi qui fanfaronnais encore lorsque je passais au travers des grippes, des bronchites, des angines et même des épidémies de gastro-entérite !
Les quelques mois suivants ont été loin de me rassurer. Une asthénie énorme s’abattra comme jamais sur moi. Les séances interminables dans la pièce au carrelage blanc se multiplieront.
Certains jours, c’est plus d’une douzaine de fois que je serai contraint de me mettre en selle sur mes toilettes. Les diarrhées, le sang et les glaires deviendront mon enfer quotidien.
Je me retrouverai dans l’impossibilité de reprendre mon travail d’agent d’accueil-standardiste auprès de personnes placées sous tutelle. Je finirai même par être déclaré inapte à mon poste et licencié.
Mon état à ce moment-là est tel que lors d’une rare sortie avec ma chérie pour faire le tour du quartier, je me sentirai obligé de couper court à la balade. À cause de douleurs incontrôlables, à moins de deux cents mètres de mon domicile, j’irai jusqu’à faire sous moi en pleine rue. Je sombrerai alors dans une belle dépression. Envahi de questions existentielles et de peurs inavouées. Que vais-je pouvoir faire ? Suis-je condamné à vivre de la sorte jusqu’à ma dernière expiration ?
Est-ce concevable à mon âge d’éprouver une telle fatigue ? De telles douleurs ? Qu’ai-je fait pour mériter cela ? Et si demain était mon dernier jour ? Aurais-je des regrets ?
C’est avec ce genre d’interrogations au fond du coeur que j’ai dû me remettre profondément en question. Je me suis fait aider un temps. Il fallait que je puisse sortir la tête de sous la chasse d’eau. Accepter que cette maladie fasse émerger en moi des peurs et des désirs passés longtemps sous silence. Je me suis senti complètement désarçonné.
Le calme est revenu peu à peu. Les symptômes sans jamais me lâcher se sont faits plus discrets. C’est alors qu’une envie sourde et irrépressible s’est installée en moi. Un besoin quasi obsédant. J’ai longtemps cru au début que c’était un choix.
Avec le recul, j’ai le sentiment d’avoir vécu ce que chantait Renaud : « C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme. » N’ayant pas le pied marin, moi, c’est un samedi que les chemins m’ont pris !
J’avais besoin de me retrouver. Sûrement de me prouver des choses aussi. Alors pour une fois, je me suis écouté. J’ai suivi mon instinct. J’ai tenté de réaliser un de mes rêves. Marcher et partir à l’aventure !
Le destin a voulu que je rallie l’Atlantique à la Méditerranée. La Rochelle à Montpellier. Le plus dur dans le parcours propre à toute maladie, c’est de faire le premier pas …
Vers soi ! D’aucuns disent que la vie est aussi une drôle de maladie.
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